La cité religieuse de Thiénéba Kadior a un passé particulier. Situé dans l’ancienne province du Cayor, elle a pu résister aux pratiques des Ceddo pour s’ériger en village religieux grâce à l’engagement de son fondateur, Amary Ndack Seck. Ses descendants ont perpétué l’héritage et fait de cette cité, une référence.
Par Khalif Aboubacar WELE (Correspondant)
LOUGA– Thiénaba Kadior se situe dans l’actuelle commune de Diokoul Diawrigne (département de Kébémer) en plein cœur de l’ancien royaume du Cayor. L’histoire de sa création remonte au 19ème siècle, à l’époque où le Damel Amary Ngoné Sobel régnait sur ce royaume. La rencontre du Damel avec Serigne Massaer Seck est à l’origine de la création du village de Thiénéba Kadior. Cet homme, était un des rares personnages de la localité connu pour son attachement à la tradition islamique dans un contexte où les Ceddo régnaient en maître sur tout le Cayor.
Informé des activités de Serigne Massaer Seck et des chants religieux qu’il organisait sur le site qu’il s’était aménagé, le Damel du Cayor d’alors, Amary Ngoné Sobel décida, vers 1827, de se rendre chez ce dernier pour découvrir l’événement religieux dont on lui parlait. Impressionné par son déroulement, il décida de donner sa fille Ndack Fall (certaines sources parlent de sa nièce) en mariage à l’homme de Dieu et lui céda un vaste espace qu’il occupa avec sa famille et ses disciples.
De ce mariage entre Serigne Massaer Seck et Ndack Fall naquit, en 1830, un premier garçon. Le jour de son baptême, raconte Talla Diagne, chef du village de Thiénéba Kadior, le Damel fit le déplacement pour participer à la cérémonie, espérant que le bébé porterait son nom. Mais son père le baptisa Abdoullah Seck, ce qui n’était pas du goût du Damel. Mais, renseigne Talla Diagne qui maitrise l’histoire de la fondation de cette cité, la mère du bébé, pour satisfaire le Damel, lui donna le surnom de son grand-père d’où le pseudonyme Amary Ndack Seck, en référence à Amary Ngoné Sobel et à son nom Ndack Fall qui explique son appellation courante de Amary Ngoné Ndack Seck.
Ayant grandi dans ce patelin, le petit-fils du Damel entreprit de réorganiser l’espace cédé par Amary Ngoné Sobel à son père et fonda le village de la cité religieuse de Thiénéba Kadior. Seulement, après avoir aménagé le village, il fut invité en 1875 par le résistant Cheikhou Amadou à le rejoindre et lui prêter main forte dans la guerre de Samba Sadio qu’il menait contre des occupants étrangers. Là, explique Talla Diagne, Serigne Amary Ndack Seck accéda à sa demande, réclama à ses disciples qui le souhaitaient de le suivre et confia les autres membres de la famille notamment les femmes et les enfants à des villages voisins.
Renaissance de Thiénéba Kadior 30 ans après
Au moment de quitter son village pour rejoindre Cheikhou Amadou à la bataille de Samba Sadio, Serigne Amary Ndack Seck avait confié son fils aîné, Talla Seck, à des voisins pour le protéger des pratiques et des incursions des Ceddo. Et à son retour, il est allé créer le village de Thiénéba Baol (région de Thiès) où il s’installa avec ses disciples. En 1907, alors qu’il il avait atteint l’âge majeur, Mame Talla Seck prit l’initiative de retourner pour réhabiliter le village de Thiénéba Kadior jusque-là déserté pour s’y installer afin de perpétuer l’héritage de son père. Selon Talla Diagne, chef du village de Thiénéba Kadior, « quand Mame Talla Seck a senti la nécessité de réhabiliter le village fondé par son père, il est venu en compagnie des nommés Mame Madjiguène Fall, Mame Sophie Fall et Baye Malick Souaré qui sont les premiers à s’installer avec lui dans le village ».
Thiénéba Kadior commença alors à reprendre vie et des chefs de famille, nostalgiques, ont rejoint le fils d’Amary Ndack Seck pour reconstituer le village. Et les premiers actes posés par Serigne Talla Seck étaient de revivifier l’enseignement coranique afin de perpétuer l’œuvre entreprise par son père. Il présida aux destinées du village et de la famille et avec l’ordre de succession établi, Serigne Assane Seck est actuellement le guide spirituel de la famille de Amary Ndack Seck.
Serigne Madické Seck, un soufi accompli
Né en 1940, Serigne Madické Seck, fils de Serigne Alpha Seck est l’artisan de la modernisation de la cité religieuse de Thiénéba Kadior. Envoyé dès le bas âge par son père dans plusieurs foyers religieux pour apprendre le Coran et parfaire son éducation islamique dans de nombreuses disciplines, Serigne Madické Seck fit, tour à tour, les daara de Coki où auprès de Serigne Ahmad Sakhir Lô, il fit son apprentissage du Coran et de disciplines associées avant de se rendre auprès de Serigne Ahmad Dème à Diourbel pour se spécialiser dans l’exégèse du Coran. Ses pérégrinations l’ont mené à Saint-Louis, à Dakar et dans d’autres localités pour parfaire ses connaissances islamiques auprès de grands érudits de l’Islam.
De retour à Thiénéba Kadior, alors que son père, Serigne Alpha Seck était établi à Thiénéba Baol, Serigne Madické Seck entreprit d’enseigner le Coran dans le daara du village. Selon Talla Diagne, chef dudit village, « Serigne Madické Seck était très généreux et engagé dans l’enseignement du Coran et généreux ». « Il m’a personnellement inculqué des connaissances du Coran tout comme beaucoup de gens des villages environnants », informe-t-il.
Connu pour sa rigueur et son ancrage dans la tradition islamique, le petit-fils de Mame Amary Ndack Seck ne faisait référence qu’à Dieu dans ses sorties publiques d’où son appellation de « Boroom Yalla nééna (Dieu a dit) ». « Mon père était d’une érudition impeccable mais avait aussi une rigueur qui s’appliquait à tout le monde. Il ne badinait pas sur l’application des principes de la Charia dans toutes ses actions », témoigne son fils, Pape Mourtada Seck.
Humble et très ouvert, Serigne Madické Seck est aussi l’homme par qui la cité religieuse de Thiénéba Seck a inauguré l’ère de la modernité. Selon son fils et Khalife de sa famille, il a réussi à moderniser le village avec la réhabilitation de la mosquée, l’électrification de la cité, le butimage de la route qui relie Thiénéba Kadior à la Nationale 2, entre autres. Mieux, dans la sauvegarde de l’héritage, Serigne Madické Seck appliquait les règles de la Charia islamique à tout contrevenant notamment pour les cas d’adultère. « Serigne Madické ne transigeait pas sur l’application de la Charia à tout acte posé dans le village et qui demandait un arbitrage ou une sanction », a expliqué Talla Diagne.
Aux origines de la célébration du Gamou
Le Gamou de Thiénéba Kadior tire sa source d’une origine lointaine. Au temps du règne du Damel du Cayor où les Ceddo, distants des pratiques religieuses étaient les maîtres du Royaume, le premier occupant du site, devenu plus tard Thiénéba Kadior, Mame Masser Seck, avait réussi, au 19ème siècle, à instaurer des veillées de prières qui étaient finalement inscrites dans l’agenda religieux de la localité. Il n’avait pas peur des représailles du Damel Amary Ngoné Sobel. Celui-ci avait fini par cautionner l’événement perpétué par son fils, Serigne Abdoullah, plus connu sous le nom de Amary Ndack Seck. Pour l’édition de 2024 qui sera célébrée ce 9 février, le Khalife de Serigne Madické Seck a invité les fidèles à rester dans le strict respect des principes et des règles en cours dans la cité religieuse où la cigarettes, les tam-tams et les comportements indécents sont formellement interdits.
Serigne Pape Mourtada Seck a rappelé que le Gamou de Thiénéba Kadior est l’un des plus grands événements religieux du département de Kébémer. Il a saisi l’occasion pour inviter l’État à densifier l’éclairage public pour sécuriser les pèlerins et à terme, « penser à la modernisation de la cité religieuse, du daara de la localité pour répondre aux exigences modernes et à refaire la route qui rend l’accès au village difficile ».
Source : https://lesoleil.sn/reportage-thieneba-kadior-une-...